REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL
DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 15
ORDONNANCE DU 22 Janvier 2020
Numéro d’inscription au répertoire général : 19/18745 – No Portalis
35L7-V-B7D-CAYJL
Décision déférée : décision de l’Autorité de la concurrence no19-D-19du 30
septembre 2019
Nature de la décision : Contradictoire
Nous, Elisabeth IENNE-BERTHELOT, déléguée par le Premier Président de ladite
Cour pour exercer les attributions résultant de l’article L 464-8 alinéa 3 du
code de commerce ;
assistée de Véronique COUVET, greffier présent lors des débats et de la mise à
disposition ;
MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au parquet général, représenté
lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocat général
Après avoir appelé à l’audience publique du 11 Décembre 2019 :
L’ORDRE DES ARCHITECTES
agissant en la personne de son représentant légal
demeurant chez le CONSEIL national de l’Ordre des Architectes
[…]
[…]
[…]
Élisant domicile au cabinet Lexavoué Paris Versailles
[…]
[…] ,
représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,
avocat au barreau de PARIS
assisté de Me Emmanuel REILLE, plaidant pour le cabinet GIDE, LOYRETTE NOUEL
AARPI, avocat au barreau de Paris, toque T 03
DEMANDEUR AU SURSIS
et
EN PRESENCE DE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGE DE L’ECONOMIE
TELEDOC 252 DGCCRF
[…]
[…]
représenté par Mme A… N…, dûment mandatée
L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE
prise en la personne de sa présidente
[…]
[…]
représentée par M. K… R…, dûment mandaté
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 11 Décembre 2019, le CONSEIL
de la requérante et les représentants de l’Autorité de la concurrence et du
Ministre chargé de l’économie ;
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 11 Décembre 2019, Mme
Madeleine GUIDONI, avocat général, en son avis ;
Les débats ayant été clôturés avec l’indication que l’affaire était mise en
délibéré au 22 Janvier 2020 pour prononcé en audience publique, les parties en
ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa
de l’article 462 du Code de procédure pénale.
Avons rendu l’ordonnance ci-après :
Par assignation enregistrée au greffe de la Cour d’appel de PARIS le 25 octobre
2019, l’Ordre des architectes a déposé une requête afin de sursis à exécution
de la décision no 19-D-19 de l’Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) en
date du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le
secteur des prestations d’architecte.
Le 21 octobre 2019 l’Ordre des architectes a préalablement formé un recours en
annulation et en réformation de cette décision devant la Cour d’appel de PARIS.
Il ressort des éléments du dossier que, par ladite décision, l’Autorité de la
concurrence a sanctionné l’Ordre des architectes, l’association A&CP Nord
Pas de Calais Architecture et Commande Publique ainsi que plusieurs architectes
et sociétés d’architecture pour avoir mis en œuvre des pratiques
anticoncurrentielles sur les prix dans le secteur des marchés publics de la
maîtrise d’œuvre pour la construction d’ouvrages publics en FRANCE, en violation
des articles 101 § 1 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, et plus précisément
pour avoir mis en œuvre une décision d’association d’entreprises consistant à
diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des
architectes de la région Hauts-de-France, de la région Centre-Val de Loire, de
la région Occitane et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (articles 1 à 4
de la décision), ainsi que pour avoir mis en œuvre une décision d’association
d’entreprises consistant à diffuser un modèle de saisine de la chambre de
discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par un CONSEIL
régional l’encontre d’un architecte (article 5 de la décision).
Dans sa décision du 30 septembre 2019, l’ADLC a énoncé :
Article 1er : Il est établi que l’Ordre des architectes, l’association A&CP
Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, la société d’architecture
Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, M. D… P…, la société
d’architecture Pierre Coppe Architectes, la société d’architecture A. Trium
Architectes et la societé d’architecture Concept plan GC, ont enfreint les
dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision
d’association d’entreprises consistant a diffuser et a imposer une méthode de
calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Hauts de France,
chacun pour la durée indiquée au paragraphe466, depuis septembre 2013.
Article 2 : ll est établi que l’Ordre des architectes a enfreint les
dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de
l’Union europeenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une
decision d’association d’entreprises consistant a diffuser et à imposer une
methode de calcul d‘honoraires à l’ensemble des architectes de la région Centre
Val de Loire depuis juin 2014.
Article 3 : Il est établi que l’Ordre des architectes, M. E… B…, M. X…
I…, la société d’architecture Atelier 2A et la société d’architecture Bleu
Gentiane, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du
Traite sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420 1 du code de
commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant
a diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des
architectes de la region Occitanie, chacun pour la durée indiquée au paragraphe
466, depuis septembre 2014.
Article 4 : Il est établi que l’Ordre des architectes et M. H… U… ont
enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant
en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant a diffuser et à
imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la
région Provence Alpes Cote d’Azur, chacun pour la durée indiquee au paragraphe
466, a compter de novembre 2014.
Article 5 : il est établi que l’Ordre des architectes a enfreint les dispositions
des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision
d’association d’entreprises consistant a diffuser un modèle de saisine de la
chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par un
CONSEIL regional à l’encontre d’un architecte, à compter de novembre 2015.
Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes au titre des
pratiques visées aux articles 1er à 5 :
à l’Ordre des architectes, une sanction de 1 500 000 euros ;
à l’association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique,
une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, une
sanction de 1 euro ;
à M. D… P…, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Pierre Coppe Architectes, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture A.Trium Architectes, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Concept plan GC, une sanction de 1 euro ;
à M. E… B…, une sanction de 1 euro ;
à M. X… I…, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Atelier 2A, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Bleu Gentiane, une sanction de 1 euro ; et
à M. H… U…, une sanction de 1 euro.
Article 7 : l’Ordre des architectes fera, par ailleurs, publier le texte
figurant au paragraphe 513 de la présente décision, en respectant la mise en
forme, sur l’édition électronique et papier du numéro du magazine « Le Moniteur
», qui paraîtra immédiatement après la publication de la présente décision.
Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs et blancs de
hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères
gras de même taille: « Décision de l’Autorité de la concurrence no 19-D-19 du
30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des
prestations d’architecte ». Elle pourra être suivie de la mention selon
laquelle la décision a fait l’objet de recours devant la cour d’appel de Paris
si un tel recours est exercé. L’Ordre adressera, sous pli recommandé, au bureau
de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le
30 octobre 2019.
L’Ordre fera également figurer, pendant une durée de trois mois, sur la page
d’accueil de son site internet national et de ses sites internet régionaux, le
premier paragraphe du texte inclus au paragraphe 513 de la présente décision
avec un lien vers le communiqué de presse relatif à la présente décision publié
sur le site internet de l’Autorité.
Par assignation en date du 25 octobre 2019, l’Ordre des architectes demande à
ce qu’il soit sursis à l’exécution, d’une part, du paiement de l’amende et,
d’autre part, aux injonctions de publication.
L’affaire a été audiencée pour être plaidée le 11 décembre 2019 et mise en
délibéré pour être rendue le 22 janvier 2020.
Par assignation déposée au greffe de la Cour d’appel de PARIS le 25 octobre
2019, l’Ordre des architectes fait valoir:
1 – Rappel du cadre juridique applicable en cas de violation flagrante des
règles de droit.
Il est soutenu que même si, en règle générale, le Premier président de la Cour
d’appel saisi d’une demande de sursis à exécution ne peut se prononcer sur le
fond de la motivation de la décision qui lui est soumise, il ressort cependant
de la jurisprudence que ce principe connaît une exception lorsque la décision
contestée est affectée d’une violation flagrante des règles de droit
applicables ayant pour conséquence de la menacer sérieusement d’annulation de
sorte que son exécution serait de nature à engendrer les conséquences
manifestement excessives prévues à l’article L. 464-8 du code de commerce.
2 – Sur la violation flagrante des règles de droit à raison de l’absence
d’imputabilité des pratiques critiquées aux personnes morales auteurs desdites
pratiques.
Il est fait valoir qu’en considérant que les pratiques poursuivies devaient
être imputées à l’Ordre des architectes, « seule entité dotée en l’espèce de la
personnalité morale, et non au CNOA et aux CROA », l’Autorité a commis une
erreur manifeste d’appréciation, dès lors que le CONSEIL National de l’Ordre
des architectes (CNOA) et les CONSEILs Régionaux de l’Ordre des architectes
(CROA) visés ont bien chacun individuellement la personnalité morale et sont
juridiquement capables de se voir infligés des amendes.
– Sur la pratique décisionnelle constante du CONSEIL de la concurrence.
Il est argué que le CONSEIL de la concurrence a eu à connaître, à plusieurs
reprises, de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des
honoraires d’architectes et qu’à chaque fois, il a imputé les pratiques
anticoncurrentielles poursuivies au CNOA et aux CROA mis en cause, et non à
l’Ordre des architectes.
Il est cité plusieurs décisions rendues en matière par le CONSEIL de la
concurrence.
Par ailleurs, au terme de la phase d’enquête administrative, les enquêteurs de
la DGCCRF ont considéré que les pratiques identifiées devaient être notifiées à
chacun des quatre CROA concernés et non à l’Ordre des architectes.
– Sur la jurisprudence.
Il est fait valoir que la personnalité juridique des CROA a été clairement
constatée à l’occasion de contentieux dans lesquels leur capacité à ester en
justice était remise en cause ( par exemple, CA LYON 15 mars 2016 RG No
14/02384).
La capacité d’ester en justice étant l’un des principaux attributs d’une entité
ayant la personnalité juridique, il ne fait pas de doute que le CROA et les
CNOA, organismes de droit privé chargés de mission de service public, sont bien
dotés de la personnalité morale.
– Sur la position exprimée par le Ministre de la culture
Il est mis en exergue que dans ses observations en date du 22 novembre 2018, le
Ministre de la culture énonçait très clairement que tant le CNOA que les CROA
sont dotés de la personnalité juridique.
En outre, si l’article 39 du Décret no 77-1481 du 28 décembre 1977 sur
l’organisation de la profession d’architecte indique, de façon générique, que «
l’ordre des architectes est placé sous la tutelle du ministre chargé de la
culture », c’est pour préciser, juste après, que cette tutelle est, dans les
faits, exercée sur le CNOA et les CROA: « le ministre chargé de la culture est
représenté par un commissaire du Gouvernement auprès du CONSEIL national et par
un commissaire régional du Gouvernement auprès de chaque CONSEIL régional ».
– Sur le motif invoqué par l’Autorité de la concurrence pour considérer que le
CNOA et les CROA n’auraient pas la personnalité morale.
Il est d’abord fait observer que ni la notification des griefs ni le Rapport
établi par les rapporteurs en charge de l’instruction de la saisine n’évoquent
les débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi no 77-2 du 3
janvier 1977 ou l’arrêt du CONSEIL d’État en date du 3 avril 1981, auxquels
l’Autorité se réfère pour prouver que le CNOA et les CROA n’ont pas de
personnalité morale.
Ensuite, il est fait valoir que les CNOA et CROA disposent de tous les
attributs de la personnalité morale tels que l’immatriculation au répertoire
des entreprises, l’existence d’organes propres de décision, une indépendance
budgétaire et financière ainsi que la détention d’un patrimoine propre.
Enfin, il est précisé que le CNOA et les CROA sont des entités totalement
indépendantes tant vis-à-vis de l’Ordre des architectes que les unes par
rapport aux autres, le CNOA n’exerçant aucun pouvoir hiérarchique sur les CROA.
Ainsi, elles doivent être distinguées de l’Ordre des architectes.
Au vu de tout ce qui précède, il est manifeste qu’en sanctionnant l’Ordre des
architectes pour des pratiques mises en œuvre par le CNOA et les CROA, alors
que ces derniers disposent bien de la personnalité morale et sont juridiquement
capables de se voir infliger une amende, l’Autorité a violé les règles de droit
applicables en matière d’imputabilité.
Dans ces conditions, il existe un risque sérieux d’annulation de la décision
par la Cour d’appel de PARIS, ce qui permet de caractériser l’existence d’une
conséquence manifestement excessive au sens de l’article L. 464-8 du code de
commerce.
Par conséquent, il est demandé à ce titre de surseoir à l’exécution des
articles 6 et 7 de la décision, jusqu’à ce que la Cour d’appel de PARIS ait
statué sur le bien-fondé du recours formé par l’Ordre à l’encontre de la
décision.
3 – Sur la violation flagrante des règles de droit à raison des conditions
imposées pour les injonctions et publications.
Il est soutenu que dans sa décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, le CONSEIL
constitutionnel a fait découler le droit à un recours juridictionnel effectif
de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
et que les juridictions européennes considèrent que « le droit à un recours
effectif est garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, et selon l’article 52, paragraphe 1, de cette charte, toute
limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par celle-ci doit être
prévue par la loi ».
En l’espèce, les injonctions prévues à l’article 7 de la décision imposent une
publication du texte rédigé par l’Autorité « immédiatement après la publication
de la présente décision ». La publication devrait donc intervenir avant même la
notification formelle de la décision.
Il est argué qu’une telle pratique, qui n’est pas prévue par les textes, réduit
considérablement toute voie de recours offerte conformément à l’article L.
464-8 du code de commerce, en totale méconnaissance du droit au recours
effectif.
En effet, une fois le texte de l’Autorité publié, le référé-suspension que
pourraient introduire les parties concernées pour obtenir une suspension de
l’exécution de l’injonction n’aurait plus d’objet dès lors que l’injonction
aurait été déjà exécutée.
A titre subsidiaire et en cas de rejet de la présente demande, il est donc
demandé de suspendre temporairement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois
à compter de l’adoption de la décision du Premier président à intervenir, les
injonctions de publication prévues à l’article 7 de la décision afin de laisser
à l’Ordre des architectes un délai raisonnable pour exécuter la décision.
En conclusion, il est demandé de :
-constater les conséquences manifestement excessives pour l’Ordre des
architectes causées par l’exécution de la décision no 19-D-19 de l’Autorité de
la concurrence, et notamment ses articles 6 et 7, en cas d’annulation ou de
réformation ultérieure de cette décision par la Cour d’appel de PARIS;
En conséquence,
– ordonner le sursis à exécution des sanctions prévues aux articles 6 et 7 de
la décision no 19-D-19 jusqu’à ce que la Cour d’appel de PARIS ait statué sur
le bien-fondé du recours formé par l’Ordre des architectes à l’encontre de la
décision no 19-D-19.
A titre subsidiaire, en cas de rejet de la demande de sursis à exécution:
– ordonner la suspension temporaire, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois
à compter de l’adoption de la décision du Premier président à intervenir, des
injonctions prévues à l’article 7 de la décision no 19-D-19 de l’Autorité de la
concurrence afin d’accorder à l’Ordre des architectes un délai raisonnable pour
exécuter, le cas échéant, lesdites injonctions.
En tout état de cause,
dire que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux de
l’instance au fond.
Par observations déposées au greffe de la Cour d’appel de PARIS le 4 décembre
2019, l’Autorité de la concurrence fait valoir :
I – Sur l’admissibilité des constatations fondées sur l’existence d’une
violation flagrante des règles de droit dans le cadre de la demande de sursis à
l’exécution d’une décision de l’Autorité de la concurrence
Il est soutenu que le législateur a entendu restreindre les exceptions au
principe d’application immédiate des décisions de l’Autorité aux seuls cas dans
lesquels le paiement immédiat de la sanction pécuniaire ou l’exécution
immédiate des injonctions prononcées est susceptible de porter une atteinte
irréversible à l’entreprise mise en cause.
Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au
magistrat délégué par le Premier président de contrôler la légalité de la
décision, objet du recours dont la Cour aura à connaître.
Si, dans de rares hypothèses, la jurisprudence a pu admettre que le sursis à
exécution d’une décision soit accordé au motif d’une violation flagrante des
règles de droit, ce n’est que lorsque des irrégularités graves de procédure
étaient alléguées et à la stricte condition que la décision soit « sérieusement
menacée d’annulation de ce chef ».
Ainsi, les contestations relatives à d’éventuelles irrégularités de la
procédure devraient, pour être accueillies, d’une part, être susceptibles de
justifier l’annulation de la décision en cause et d’autre part, apparaître de
manière manifeste à la seule lecture de cette même décision.
En l’espèce, les violations de droit alléguées par le demandeur au sursis
relèvent de l’appréciation du juge du fond.
II – Sur la violation flagrante des règles de droit à raison de l’absence
d’imputabilité des pratiques aux personnes morales auteures desdites pratiques
1 – Sur l’examen de l’application des règles d’imputabilité par le juge du
référé
Il ressort d’une jurisprudence constante que les règles d’imputabilité des
pratiques relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de
l’Union. Leur appréciation ressort par conséquent de l’analyse du fond et non
de la procédure.
2 – Sur les conséquences de l’imputabilité des pratiques à l’Ordre
Il incombe au demandeur au sursis de démontrer en quoi les effets négatifs
allégués sont susceptibles d’entraîner des conséquences manifestement
excessives, en s’appuyant sur des éléments concrets et des justificatifs.
Au cas présent, l’Ordre se borne à alléguer l’existence d’une menace sérieuse
d’annulation de la décision sans fournir aucun élément ou justificatif de
nature à permettre à la Cour d’apprécier l’existence des conséquences
manifestement excessives et le caractère irréversible de l’atteinte résultant
prétendument de la décision concernée.
Par conséquent, ses demandes ne pourront qu’être rejetées.
3 – Sur l’imputabilité des pratiques à l’Ordre des architectes
Tout d’abord, au plan des principes, il est constant que les infractions au
droit de la concurrence doivent être imputées à la personne juridique qui sera
susceptible de se voir infligée des amendes.
Par ailleurs, l’article 21 de la loi no 77-2 sur l’architecture dispose que «
l’ordre des architectes [
] a la personnalité morale et l’autonomie financière » (paragraphe 451).
L’Ordre est ainsi doté – de par la loi elle-même – à la fois de la personnalité
juridique et de l’autonomie financière qui lui permettent, au sens de la
jurisprudence, de se voir infliger des amendes.
Il est soutenu que la circonstance que les CNOA et CROA jouissent des
prérogatives traditionnellement attachées à la personnalité juridique
(ressources propres, autonomie des compte, capacité à ester en justice…) et
que l’Autorité, comme les juridictions judiciaires ou le ministère de la
culture, aient dans d’autres espèces pu considérer que ces derniers disposaient
de la personnalité juridique, n’est pas de nature à contredire cette analyse.
Il résulte de ce qui précède qu’en imputant les pratiques en cause à l’Ordre,
l’Autorité de la concurrence n’a violé aucune règle de droit.
III – Sur la violation flagrante des règles de droit à raison des conditions
imposées pour l’injonction de publication
Il est d’abord rappelé que la jurisprudence a déjà considéré qu’une injonction
de publication visant à faire publier le texte intégral de la décision de
l’Autorité de la concurrence dans des revues professionnelles, alors même que
cette dernière n’était pas définitive, procède du principe fondamental de
la publicité des
décisions à forme ou contenu juridictionnel et ne saurait justifier l’octroi
d’un sursis à exécution, à condition que la publication incriminée soit
assortie d’une mention relative à la possibilité d’un recours devant la cour
d’appel.
En l’espèce, dès lors que les injonctions en cause prévoient expressément la
possibilité de mentionner l’existence d’un recours pendant, le requérant est
infondé à arguer de la violation de son droit à un recours effectif. En
pareille hypothèse, la circonstance que les injonctions prévoient que la
publication doive être mise en œuvre immédiatement après la publication de la
décision et non sa notification – laquelle intervient quelques jours après la
première – ne saurait, en elle-même, remettre en cause cette analyse.
Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les requête formulées en
l’espèce, qui visent à obtenir le sursis à exécution de la sanction pécuniaire
et des injonctions de publication prévues aux articles 5 et 6 de la décision sont
infondées et doivent être rejetées.
Par avis reçu en date du 6 décembre 2019, le Ministre de l’Économie fait valoir
:
I – Sur la demande de sursis à exécution des sanctions prononcées par
l’Autorité de la concurrence
Il est rappelé le texte de l’article L. 468-4 du code de commerce et il est
argué qu’au cas particulier, les conditions prévues par cet article pour
l’octroi d’un sursis à exécution ne sont pas réunies.
Il découle de la jurisprudence en vigueur que les objections relatives à
d’éventuelles irrégularités procédurales, pour être accueillies, doivent être
susceptibles de justifier l’annulation de la décision en cause et apparaître de
manière évidente à la seule lecture de cette même décision.
En l’espèce, le demandeur au sursis considère que l’Autorité de la concurrence
a commis une erreur manifeste d’appréciation tendant à l’imputation des
pratiques prohibées à l’Ordre des architectes et non aux CROA et CNOA. Une
telle appréciation requiert que la violation soit manifeste, c’est-à-dire
qu’elle résulte de façon évidente à l’examen de la décision contestée et des
pièces produites.
Or, l’Ordre des architectes ne fournit aucun élément concret à l’appui de son
argumentation de nature à prouver le caractère manifestement excessif des
conséquences entraînées.
En tout état de cause, les violations alléguées relèvent de l’appréciation du
juge du fond.
II – Sur la demande de suspension temporaire des injonctions de publication
Il est soutenu que les obligations de publication ne présentent pas de
difficultés de mise en œuvre ni ne génèrent des conséquences manifestement
excessives en soi.
Il est fait valoir que la jurisprudence a déjà eu occasion de préciser que la
publication de la décision de l’Autorité sur son site internet, suivie par la
mention de l’existence d’un recours pendant, ôtait tout caractère manifestement
excessif aux conséquences entraînées.
Au cas présent, cette solution s’impose d’autant plus que cette affaire a été
relayée dans les médias et sur les journaux d’information spécialisés.
En conclusion, il est demandé de rejeter la demande de sursis à exécution de la
décision no 19-D-19 de l’Autorité de la concurrence et de dire que les dépens
de la présente instance suivront le sort de ceux au fond.
Par conclusions récapitulatives du 10 décembre 2019, l’Ordre des architectes
fait valoir:
Sur la position exprimée par le Ministère de la culture : dans ses
observations, le Ministère de la culture énonce que tant le CNOA que le CROA
sont dotés de la personnalité juridique. L’Autorité n’apporte aucun élément
permettant de contester cette situation, la position exprimée par le Ministère
de la culture permet de caractériser “la flagrance” de l’erreur
commise par l’Autorité.
Sur le motif invoqué par l’ADLC pour considérer que le CNOA et les CROA n’auraient
par la personnalité morale :
L’Autorité se réfère à un arrêt du CONSEIL d’Etat et aux débats parlementaires
, alors que cela n’a jamais été évoqué tout au long de la phase écriture de la
procédure.
L’absence de reconnaissance express dans la Loi d’une personnalité morale
attachée aux CNOA et CROA ne permet pas de les en priver.. Le CONSEIL de la
Concurrence a déjà au préalable considéré le CNOA et les CROA comme des entités
dotées de la personnalité orale pouvant être sanctionnés, la jurisprudence considère
aussi qu’ils sont dotés d’une personnalité morale. Ceux -ci disposent de tous
les attributs de la personnalité morale (immatriculation, organes propres de
décision, patrimoine propre, indépendance budgétaire et financière..). Si
l’Ordre des architectes dispose légalement de la personnalité morale, celui-ci
ne dispose d’aucun des attributs de la personnalité morale. Les CNOA et CROA
sont indépendantes vis à vis de l’ Ordre des architectes , ce sont des entités
juridiques distinctes et elles doivent être distinguées de l’Ordre des
architectes .
En sanctionnant l’Ordre des architectes pour des pratiques mises en oeuvre par
les CNOA et les CROA, alors que ceux-ci disposent de la personnalité morale,
l’Autorité a manifestement violé les règles de droit applicables en matière
d’imputabilité.
Par avis en date du 4 décembre 2019, le Ministère public rappelle d’abord,
s’agissant de la qualification de violation flagrante des règles de droit, que
la flagrance est communément définie comme une évidence qui ne peut être niée.
Quant à l’erreur manifeste d’appréciation, une telle erreur doit revêtir un
caractère grossier dans l’appréciation des faits qui ont motivé la décision de
l’administration.
Or, aucune flagrance ou erreur manifeste d’appréciation n’apparaît dans la
présente affaire.
En effet, il ne peut être retenu une erreur grossière de l’Autorité dans
l’appréciation de l’existence de la personnalité juridique des CROA et du CNOA,
cette violation invoquée relevant de l’examen de l’affaire au fond, conformément
à une jurisprudence établie.
Il est souligné que si la décision attaquée reconnaît l’attribution au CNOA et
aux CROA de certaines composantes de la personnalité juridique, elle retient
une interprétation littérale de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture,
conférant au seul Ordre des architectes cette personnalité morale et que
l’Autorité s’est en outre fondée sur les travaux parlementaires et la
jurisprudence afin d’imputer les pratiques reprochées à l’Ordre.
Par ailleurs, au niveau européen, la pratique décisionnelle de la Commission,
validée par la jurisprudence, adopte cette même approche.
En conclusion, le Ministère public invite à rejeter la demande de sursis à
exécution de la décision no 19-D-19 présentée par l’Ordre des architectes, en
ce qu’elle implique un examen de la légalité de la décision qui relève du seul
juge du fond en l’absence de violation flagrante des règles de droit
applicables et estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande
subsidiaire de suspension temporaire des injonctions de publication, dans la
mesure où ces dernières n’ont pas été exécutées à ce jour et feront l’objet
d’une exécution à l’issue de la présente procédure.
Les parties ont été entendues en leurs observations orales à l’audience
publique du 11 décembre 2019 , la décision a été mise en délibéré pour être
rendue le 22 janvier 2020.
SUR CE
Considérant qu’aux termes de l’article L. 464 8 du code de commerce ” les
décisions de
l’Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462 8. L. 464 2. L.
464 3. L. 464 5.L. 464 6. L. 464 6 1 et L. 752 27 sont notifiées aux parties en
cause et au ministre chargé del’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois,
introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d’appel de
Paris.
Le recours n ‘est pas suspensif. Toutefois, le premier président de la Cour
d’appel de Paris peut ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision
si celle ci est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement
excessives ou s ‘il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits
nouveaux d’une exceptionnelle gravité “;
Considérant que l’Autorité de la concurrence a rendu une décision ( No19-D-19)
le 30 septembre 2019 déclarant :
Article 1er : Il est établi que l’Ordre des architectes, l’association A&CP
Nord Pas de Calais Architecture et commande publique, la société d’architecture
Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, M. D… P…, la société
d’architecture Pierre Coppe Architectes, la société d’architecture A. Trium Architectes
et la société d’architecture Concept plan GC, ont enfreint les dispositions des
articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision
d’association d’entreprises consistant a diffuser et a imposer une méthode de
calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Hauts de France,
chacun pour la durée indiquée au paragraphe466, depuis septembre 2013.
Article 2 : ll est établi que l’Ordre des architectes a enfreint les
dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une
décision d’association d’entreprises consistant a diffuser et à imposer une
méthode de calcul d‘honoraires à l’ensemble des architectes de la région Centre
Val de Loire depuis juin 2014.
Article 3 : Il est établi que l’Ordre des architectes, M. E… B…, M. X…
I…, la société d’architecture Atelier 2A et la société d’architecture Bleu
Gentiane, ont enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du
Traite sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420 1 du code de
commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises
consistant a diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à
l’ensemble des architectes de la région Occitanie, chacun pour la durée
indiquée au paragraphe 466, depuis septembre 2014.
Article 4 :
Il est établi que l’Ordre des architectes et M. H… U… ont enfreint les
dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une
décision d’association d’entreprises consistant a diffuser et à imposer une
méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région
Provence Alpes Cote d’Azur, chacun
pour la durée indiquée au paragraphe 466, a compter de novembre 2014.
Article 5 : il est établi que l’Ordre des architectes a enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420 1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant a diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par un CONSEIL régional a l’encontre d’un architecte, à compter de novembre 2015.
Article 6 :
Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes au titre des pratiques
visées aux articles 1er à 5 :
à l’Ordre des architectes, une sanction de 1 500 000 euros ;
à l’association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et commande publique,
une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Hart Berteloot Atelier Architecture Territoire, une
sanction de 1 euro ;
à M. D… P…, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Pierre Coppe Architectes, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture A.Trium Architectes, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Concept plan GC, une sanction de 1 euro ;
à M. E… B…, une sanction de 1 euro ;
à M. X… I…, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Atelier 2A, une sanction de 1 euro ;
à la société d’architecture Bleu Gentiane, une sanction de 1 euro ; et
à M. H… U…, une sanction de 1 euro.
Article 7 :
l’Ordre des architectes fera, par ailleurs, publier le texte figurant au
paragraphe 513 de la présente décision, en respectant la mise en forme, sur
l’édition électronique et papier du numéro du magazine « Le Moniteur », qui
paraîtra immédiatement après la publication de la présente décision. Cette
publication interviendra dans un encadré en caractères noirs et blancs de
hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères
gras de même taille: « Décision de l’Autorité de la concurrence no 19-D-19 du
30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des
prestations d’architecte ». Elle pourra être suivie de la mention selon
laquelle la décision a fait l’objet de recours devant la cour d’appel de Paris
si un tel recours est exercé. L’Ordre adressera, sous pli recommandé, au bureau
de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le
30 octobre 2019.
L’Ordre fera également figurer, pendant une durée de trois mois, sur la page
d’accueil de son site internet national et de ses sites internet régionaux, le
premier paragraphe du texte inclus au paragraphe 513 de la présente décision
avec un lien vers le communiqué de presse relatif à la présente décision publié
sur le site internet de l’Autorité.
Considérant que l’Ordre des architectes demande qu’il soit sursis à exécution
de la décision
au motif que la décision contestée est affectée d’une violation flagrante des
règles de droit applicables ayant pour conséquence de la menacer sérieusement
d’annulation de sorte que son exécution serait de nature à engendrer les
conséquences manifestement excessives prévues à l’article L. 464-8 du code de
commerce, que cette violation flagrante des règles de droit réside dans
l’imputabilité des pratiques à l’Ordre des architectes alors que les pratiques
reprochées ont été mises en oeuvre par le CNOA et plusieurs CROA.
Considérant qu’il est constant qu’il n’appartient pas au magistrat délégué de
contrôler la légalité de la décision objet du recours, que les violations du
droit alléguées par le requérant relèvent de l’appréciation du juge de fond,
qu’en l’espèce il n’appartient pas au juge statuant sur le sursis à exécution
d’apprécier l’application qu’à fait l’Autorité de la concurrence des règles
d’imputabilité, laquelle incombe au juge du fond.
Considérant que l’Ordre des architectes ne démontre pas en quoi l’exécution de
la décision No 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l’Autorité de la concurrence et
notamment ses articles 6 et 7, aurait des conséquences manifestement
excessives.
Considérant qu’il n’ y a pas lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire de
suspension temporaire des injonctions prévues à l’article 7 ( injonctions de
publication).
PAR CES MOTIFS
-Rejetons la demande de l’Ordre des architectes de sursis à exécution de la
décision no 19-D-19 de l’Autorité de la concurrence en date du 30 septembre
2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations
d’architecte.
-Déclarons irrecevable la demande de l’ordre des architectes d’ordonner la
suspension temporaire des injonctions prévue à l’article 7 (injonctions de
publication).
– Disons que les dépens seront à la charge du demandeur.
LE GREFFIER
Véronique COUVET LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT